Le coemploi est caractérisé, indépendamment des conditions dans lesquelles les salariés ont été recrutés par l’exercice d’un contrôle d’une société par une autre accompagné d’une confusion d’intérêts, d’activité et de direction. En pareil cas, les juges du fond peuvent retenir que la société qui exerçait le contrôle était devenue l’employeur de fait des salariés de la société contrôlée (Soc., 1er juin 2004, pourvoi n° 02–41776).
En d’autres termes, un salarié peut être lié à une entreprise appartenant à un groupe ou à un ensemble de sociétés au-delà des apparences résultant du contrat de travail, de l’établissement des bulletins de paie ou de l’accomplissement de formalités administratives maintenant fictivement un lien de droit avec une société qui n’exerce plus le pouvoir de direction.
Dans une décision en date du 8 novembre 2006 (Soc., 8 novembre 2006, pourvoi n° 04-43887), la Cour de Cassation explicite son raisonnement. Selon la haute cour, le coemploi par la société mère résulte du fait que celle-ci s’est substituée une filiale pour exécuter des prestations contractuelles. Lorsque les juges du fond font « ressortir que (la société-mère) et la filiale formaient un ensemble uni par la confusion de leurs intérêts, de leurs dirigeants, de leurs activités et de leurs moyens d’exploitation » destinée à permettre à la société-mère de se « substituer une filiale dans l’exécution d’un contrat »…, ils caractérisent ainsi « leur qualité de coemployeur ».
Lorsque les juges du fond constatent une confusion d’intérêts, d’activité et de direction entre deux sociétés, ils caractérisent sans aucun doute l’existence d’un coemploi (Par ex.: Soc., 19 juin 2008, pourvoi n° 07-42547 ; Soc., 28 mai 2008, pourvoi n° 06-45395 ; Soc., 4 octobre 2007, pourvoi n° 06-44486 ; Soc., 26 avril 2007, pourvoi n° 05-42 256 ; voir également, au sujet d’un salarié employé en qualité de cadre international par un groupe de sociétés entre lesquels existait une confusion d’intérêts, d’activité et de direction : Soc., 11 juillet 2000, pourvoi n° 98-40146).
Or, selon la Cour de Cassation, la confusion d’intérêts, d’activité et de direction est caractérisée lorsqu’une personne morale crée une autre personne morale, dans la gestion de laquelle elle intervient (Soc., 28 mai 2008, pourvoi n° 06-45395), notamment lorsqu’elle intervient directement dans la gestion de ses ressources humaines (même arrêt).
En outre, lorsque les juges du fond constatent qu’une société-mère « s’est substituée à sa filiale pour traiter en ses lieu et place » une convention « qu’elle avait prise à son compte », il caractérise « l’immixtion de la société-mère dans l’exécution du contrat », ce qui justifie qu’elle soit condamnée in solidum (Com. 3 octobre 2006, pourvoi n° 04-13214).
Au demeurant, le coemploi peut être caractérisé soit par « une confusion d’intérêts, d’activité et de direction », soit par « un lien de subordination » avec chacune des sociétés prises en considération (Soc., 11 juillet 2000, pourvoi n° 98-40146).
La Cour de cassation a rappelé ces règles à chaque fois qu’elle en a eu l’occasion (Par ex. Soc., 30 novembre 2011, Jungheinrich, Bull. V, n° 284 ; v. également Soc., 31 octobre 2012, Norbert Dentresssangle, pourvoi n° 11-12277 ; Soc., 12 septembre 2012, Métalleurop, pourvois n° 11-12343, 11-12344, 11-12345, 11-12346, 11-12347, 11-12348, 11-12349 et 11-12350).
Dans la décision « Jungheinrich » (Soc., 30 novembre 2011, Bull. V, n° 284), la Cour de cassation a, dans un arrêt ayant l’autorité d’une décision publiée au Bulletin des arrêts de la Cour de cassation, posé clairement les principes applicables, en énonçant qu’il existait entre la filiale et la société mère du groupe « une confusion d’activités, d’intérêts et de direction conduisant cette dernière à s’immiscer directement dans la gestion de la société (filiale) et dans la direction de son personnel » après avoir relevé que :
« la cour d’appel a constaté qu’il existait entre les sociétés composant le groupe Jungheinrich une unité de direction sous la conduite de la société Jungheinrich AG, que les décisions prises par cette dernière avaient privé la société MIC de toute autonomie industrielle, commerciale et administrative, au seul profit de la société mère du groupe, que celle-ci avait repris tous les brevets, marques et modèles de la société MIC et bénéficié de licences d’exploitation, que les choix stratégiques et de gestion de la société d’Argentan étaient décidés par la société Jungheinrich AG, laquelle assurait également la gestion des ressources humaines de la filiale et avait imposé la cessation d’activité, en organisant le licenciement des salariés et en attribuant elle-même une prime aux salariés de la société MIC ; que le dirigeant de la société MIC ne disposait plus d’aucun pouvoir effectif et était entièrement soumis aux instructions et directives de la direction du groupe, au seul profit de celui-ci ».
Dans la décision « Métaleurop » (Soc., 12 septembre 2012, pourvois n° 11-12343, 11-12344, 11-12345, 11-12346, 11-12347, 11-12348, 11-12349 et 11-12350), la Cour de cassation a notamment décidé que :
« la société Métaleurop était coemployeur du personnel de sa filiale, sans qu’il soit nécessaire de constater l’existence d’un rapport de subordination individuel de chacun des salariés de la société Métaleurop Nord à l’égard de la société mère »,
après avoir relevé que les juges du fond avaient constaté :
« qu’au-delà de la communauté d’intérêts et d’activités résultant de l’appartenance à un même groupe, qui se manifestait par la décision de restructuration de la filiale prise au niveau de la direction de la société mère, par l’existence de dirigeants communs et par la tenue de la trésorerie de sa filiale par la société Métaleurop laquelle assurait également le recrutement des cadres de la société Métaleurop Nord et la gestion de leur carrière, la société mère s’était directement chargée de négocier un moratoire à la place et pour le compte de sa filiale… ».
Il demeure que la jurisprudence sur le coemploi est assez contrastée.
Dans une décision, la Cour de cassation a décidé qu’une situation de coemploi n’était pas caractérisée alors que la société mère s’était « engagée à garantir l’exécution des obligations de sa filiale liées à la fermeture du site et à la suppression des emplois » (Soc., 6 juillet 2016, pourvois n° 14-27266 et autres).
Dans une autre décision, plus récente, du 17 mai 2017 (Soc., 17 mai 2017, pourvoi n° 15-27766), la Cour de cassation a retenu qu’une situation de coemploi n’était pas caractérisée alors que :
- les dirigeants de la filiale proviennent du groupe et sont en étroite collaboration avec la société mère,
- celle-ci a pris durant les quelques mois suivant la prise de contrôle de la filiale des décisions visant à sa réorganisation dans le cadre de la politique du groupe,
- celle-ci a ensuite renoncé à son concours financier destiné à éviter une liquidation judiciaire de la filiale, tout en s’impliquant dans les recherches de reclassement des salariés au sein du groupe.
Il convient, par ailleurs, de conserver présent à l’esprit que c’est dans le cadre de l’exercice de leur pouvoir souverain que les juges du fond retiennent l’existence d’une confusion des intérêts, des activités et des moyens d’exploitation.
Cette règle, maintes fois affirmée s’agissant de la confusion des patrimoines (Com., 16 juin 2009, pourvoi n° 08-14831 ; Soc., 3 mai 1994, pourvoi n° 92-15103 ; v. également Com., 2 juin 2004, pourvoi n° 01-13406 ; Civ. 3, 3 décembre 2002, pourvoi n° 01-12421) trouve à s’appliquer, mutatis mutandis, à l’hypothèse particulière d’une confusion d’intérêts, d’activité et de direction.
Pascal ALIX, avocat à la Cour